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  • Photo du rédacteurIsabelle Nadolny

V - Le Pape Grégoire


Après une jeunesse dorée, saint Grégoire avait choisi de se retirer derrière les murs d’un monastère. Or, un jour, un naufragé vint à lui.

Il se plaignit d’être complètement démuni depuis le naufrage de son navire et mendia de quoi vivre. Grégoire lui donna six deniers d’argent. Le soir du même jour, le naufragé revint et dit qu’il avait beaucoup, mais qu’il avait reçu trop peu. Grégoire lui fit donner tout l’argent qui restait dans le monastère. Le mendiant s’en revint une troisième fois, invectiva les moines, et les accusa de garder le meilleur pour eux. Or, le monastère était vide, il ne contenait plus rien de précieux sauf une écuelle d’argent, présent de la mère de Grégoire. Malgré les insultes du naufragé, il lui donna le plat.

Bien des années plus tard, Grégoire fut élu pape. Il ne l’avait nullement cherché.

Il avait même fui la ville de Rome caché dans un tonneau pour éviter cet honneur. Mais une colonne de feu, tombant du ciel, avait désigné sa cachette et il dut revenir se faire consacrer.

Cette charge lui pesait. Il songeait avec délices à son monastère, ses oraisons, le silence du cloître : « J’examine ce que j’ai perdu : me voici battu par les flots d’une vaste mer, et dans le vaisseau de mon âme, je suis brisé par les fureurs d’une affreuse tempête ; quand je regarde en arrière dans ma vie, je soupire comme si je tournais les yeux vers le rivage qui me fuit. » Alors qu’il roulait ces pensées nostalgiques, son chancelier introduisit douze pèlerins qu’il accueillait toujours à table, le vendredi. Ils étaient tous assis et se régalaient des mets succulents, servis dans des plats d’argent. Grégoire vérifia leur nombre mais, au lieu de douze, il en compta treize. Il s’en plaignit à son chancelier. Celui-ci les compta encore et n’en trouva que douze alors que Grégoire en recomptait treize. Il distingua soudain parmi les convives un homme qui changeait de visage. Il était tantôt jeune, tantôt vieux, tantôt barbu, tantôt glabre. Saisi par ce prodige, il le regarda avec stupéfaction.

L’homme alors se révéla et prit sa forme réelle : celle d’un ange aux ailes blanches. Il s’adressa à Grégoire :

« Reconnais en moi le naufragé qui a frappé jadis par trois fois à la porte de ton monastère. Tu m’as tout donné. A toi aussi, naufragé dans les honneurs, malmené par les flots du monde, je donne tout. »

L’ange s’envola, nimbant Grégoire du ravissement des bienheureux.


Conte inspiré de La Légende dorée.


Bibliographie :

Contes des sages chrétiens / Nathalie Leone, Seuil, 2005.

Iconographie :

Tarot Goldschmidt, le Pape, Italie du Nord, XVe siècle. Deutsches Spielkartenmuseum.










 




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